Avec l’évolution considérable des technologies et des outils informatiques, les différentes formes de design (au sens bien entendu anglo-saxon de « projet », et non de conception de mobilier ou d’objet) changent. Le design actuel est désormais computationnel : non plus assisté par ordinateur mais fondé sur l’existence même de ce dernier. Il est en effet inconcevable d’imaginer concevoir des bâtiments sans l’utilisation des ordinateurs ; et ils sont aujourd’hui utilisés à chaque étape du processus architectural, du design conceptuel à la construction.

Ce design digital, qui regroupe donc la modélisation 3D, la visualisation, mais aussi, pour une minorité de projets aujourd’hui, le design paramétrique, scripté, génératif et évolutif est, comme l’explique Antoine Picon, « souvent considéré comme une menace pour l’une des dimensions essentielles de l’architecture : l’aspect concret de la construction et des technologies du bâtiment, en un mot, sa matérialité »

Ces considérations sur la matérialité sont pourtant d’un intérêt permanent pour les ingénieurs qui en parallèle des maquettes de structure digitales réalisent presque toujours des tests physiques, à l’image de Nervi, dont la méthode de travail consistait à remplacer ou à intégrer le calcul mathématique par l’expérimentation : « il construit le modèle d’une forme et le soumet à une série de poussées physiques qui reproduisent avec la plus grande fidélité possible celles que la structure devra supporter dans la réalité. Sur la base de ces épreuves de charge, il procède aux modifications nécessaires et détermine la forme finale de sa structure de ciment ».

Ces tests physiques rendent possible l’anticipation des modes de comportements structurels et matériels inconnus que les maquettes digitales sont incapables de prendre en compte, puisque construites en fonction de schémas et paramètres connus. « Le modèle de l’ingénieur est ainsi là pour illustrer un argument ou pour remplacer un calcul par une mesure directe sur le modèle ».

Construire et tester reste donc toujours le moyen le plus pertinent pour obtenir un sens réel de la matérialité et des structures ; en entretenant un lien essentiel entre deux domaines abstraits/idéaux (digital) et réel (physique et matériel). Il faut cependant noter qu’en aéronautique, des avions sont désormais intégralement conçus sans essais grandeur nature multiples ni prototypes.

Les outils digitaux actuels permettent un processus dans lequel la création et la collaboration entre architectes et ingénieurs 6 sont facilitées, pour le cas de la recherche par exemple, et par extension dans la pratique d’un design de projet optimum. L’optimisation, étudiée dans le domaine de l’ingénierie et motivée par des facteurs allant de l’esthétique, aux structures, à l’économie et à des considérations environnementales, a une influence et une emprise importante sur la création architecturale. Ces nouveaux outils digitaux ont ainsi rendu possible la coordination et la réalisation de bâtiments d’une complexité sans précédent. Simultanément, en architecture, ils sollicitent des pratiques du design faisant intervenir des géométries parfois abstraites et sans considération pour le comportement des matériaux, les restrictions de fabrication, et les implications lors de la construction ; imposant souvent de vastes opérations de rétro-ingénierie.

Il semble donc nécessaire qu’une nouvelle pratique soit imaginée pour les outils digitaux et le design computationnel, dans laquelle les architectes envisagent leur discipline comme une pratique matérielle et considèrent matériaux et machines comme des médiums de l’architecture. Ces outils pourraient alors devenir un moyen pour mieux comprendre les matériaux, les potentiels de la fabrication, ainsi que pour développer des nouveaux systèmes de construction au sein même du processus de conception d’un projet.

 

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